Ces ministres au-dessus de la loi : Un silence trop assourdissant 

Les mouches électroniques en bourdonnement incessant


Libération
Lundi 29 Juin 2020

L’histoire du ministre des Libertés et des Droits de l’Homme et de son collègue au gouvernement, son frère d’appartenance aussi, ministre du Travail de son état, avec la Sécurité sociale constitue un drame tragique dans tous les sens du terme. En choisissant de ne pas déclarer leurs employés respectifs auprès de la CNSS, ils n’étaient sûrement pas sans savoir qu’ils bafouaient, ni plus ni moins, le Code du travail. Mais ce qui est tout aussi déplorable, c’est surtout la nature de l’attitude de bon nombre de parties institutionnelles ou pas à l’égard de ce triste événement. Trois points essentiels se dégagent quand on y regarde de plus près.
Premièrement : Face à l’indignation exprimée par une opinion publique profondément outrée,  les deux ministres précités ont fait preuve de mépris, d’arrogance et d’irresponsabilité. Ils n’ont pas démissionné ni non plus ne se sont excusés.
Dans une tentative désespérée de justifier l’incongruité de son comportement à l’égard de son employée, le ministre des Libertés et des Droits de l’Homme (sic) a cru bon d’avancer qu’il avait fait bénéficier celle-ci de sa charité de son vivant et… après!. Cela a tout l’air d’un aveu déclaré que le fait d’avoir transgressé le Code du travail émane chez lui d’une attitude délibérée et d’une conviction ancrée disant que la charité l’emporte sur la loi et que la sécurité sociale ne serait en fin de compte qu’une hérésie à éviter absolument si l’on veut échapper aux flammes de l’enfer  dans l’au-delà. Ainsi le ministre number one de la milice pjdiste ne considère-t-il pas qu’en se comportant comme il l’a fait, il s’était rendu coupable d’une grosse négligence, d’une énormité assurément impardonnable. Il y va du libre choix du ministre des Libertés, la sienne surtout. Il y aurait comme de la préméditation en l’air. Un terme qui ne doit pas échapper à un avocat supposé avoir roulé sa bosse.
Quant au jeune ministre, fierté et leader de leur Chabiba si l’en est, il a dû s’empresser, juste avant le coup de sifflet final, de régulariser la situation de ses employés. Cela aurait pu être interprété dans le sens d’un mea culpa acceptable à la limite s’il ne se trouvait pas être ministre et de surcroît président du Conseil d’administration de cette même Caisse si effrontément lésée. Comme il aurait été possible de tenter de supposer que le respectable avocat qu’il est a dû oublier ou omettre de s’acquitter de son devoir d’employeur à l’instar de ces nombreux hommes ou femmes dans diverses professions libérales. Mais, lui arriverait-il seulement d’oublier ou d’omettre qu’il est ministre du Travail et président du Conseil d’administration ?
Plus grave encore, l’un et l’autre des deux ministres se sont comportés avec une désinvolture manifeste à l’égard de l’institution législative et des représentants de la nation. Cette même institution, pour rappel, dont ils ont tiré la légitimité de l’exercice de leurs attributions gouvernementales. Le ministre du Travail a ainsi ignoré une question sur cette affaire en s’abstenant d’y répondre. Et son grand frère a tout bonnement refusé de se faire auditionner. Quid de la sacro-sainte corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes ? En agissant de la sorte, Ramid et Amekraz nous ont servi un fort bel enseignement à ce propos. Version « Les Frères » toutefois.
Deuxièmement : La direction du PJD n’a pas manifesté le moindre signe de désapprobation vis-à-vis des deux ministres gaffeurs. Certes elle a soumis le premier volet du scandale à la commission de discipline qui ne s’est toujours pas prononcée alors que l’abus est avéré. Il y a même eu quelques dirigeants qui ont défendu bec et ongles Ramid allant jusqu’à assimiler sa supposée charité à une espèce d’expiation à même de faire oublier son piétinement de la loi.  Mais le deuxième volet n’a suscité aucune réaction de la part  du parti concerné si ce n’est la désignation par le chef du gouvernement de son ministre à la tête de la commission du dialogue social. Inqualifiable !  Comment quelqu’un qui a privé ses employés de leurs droits les plus élémentaires peut-il prétendre à la  présidence de séances d’un dialogue social destiné à l’examen des cahiers revendicatifs de la classe ouvrière ? Et c’est pour le moins  regrettable que les syndicats les plus représentatifs se soient abstenus d’émettre la moindre réserve quant à la crédibilité de celui chargé de gérer ledit dialogue. 
A l’exception d’une seule voix au sein de ce même PJD et qui a beaucoup de mérite pour avoir réclamé haut et fort la démission de Ramid, les mouches électroniques, fidèles à leurs piètres pratiques, se sont mobilisées pour défendre l’indéfendable, pour exalter l’injustice pendant que d’autres se sont mus dans un silence assourdissant. Est-ce ainsi que l’on va parvenir à édifier l’Etat de droit ? Est-ce en se mobilisant de la sorte au mépris de la loi que l’on va réussir à consolider la démocratie ? 
Troisièmement : La position des groupes parlementaires n’aura pas été à la hauteur de la gravité du scandale. Mis à part le questionnement du ministre du Travail, les groupes parlementaires, majorité et opposition confondues, et des deux Chambres, se sont montrés trop conciliants. A tel point que ce silence a suscité une grande inquiétude chez l’opinion publique de peur que la protection des droits des travailleurs ne constitue pas vraiment une priorité pour les représentants de la nation.
Silence déplorable et connivence exécrable. Il va sans dire que si nous étions dans un paysage politique autre effectivement dominé par une profonde culture démocratique, les deux ministres auraient vite fait de démissionner ou, auraient été, à défaut, démis et présentés devant la justice. Tous les syndicats sans exception auraient protesté, tout comme les employeurs attachés à la préservation des droits de la classe ouvrière. La crise aurait alors secoué le gouvernement et le parti majoritaire…
Mais il semble que la peur de la vérité soit tellement tenace que la concrétisation de la pratique démocratique en pâtit considérablement dans notre si cher pays. 


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